La famille

 

Blanche Monnier


Photographie de Blanche Monnier prise à son arrivée à l'Hôtel-Dieu (L'Illustration, n°3040, 1er juin 1901).

Blanche après avoir été tondue (photo L.Leclairc, La Vie Illustrée, n°140, 21 juin 1901)

 

     Née à Poitiers en 1849, Blanche eut une enfance heureuse aux côtés de son frère Marcel. Après de courtes études à l'Union chrétienne, elle eut des crises de mysticisme et voulut devenir religieuse. Recherchant la solitude, elle devint anorexique. Sa réclusion était volontaire et il n'y eut jamais de séquestration. A la suite d'une fièvre pernicieuse, vers sa vingt-troisième année, elle sombra dans la folie et resta désormais confinée dans sa chambre. Quand elle fut découverte, elle était dans un état de saleté repoussante, ne pesait plus que 25 kilos 400 et sa chevelure noire lui tombait entre les cuisses. Blanche fut transportée à l'Hôtel-Dieu de Poitiers où elle fut tondue. Soignée pendant un an, elle se rétablit physiquement mais ne recouvra jamais la raison.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Blanche sur son lit d'hôpital (Le Petit Journal, supplément illustré n°552
16 juin 1901)


     Le journal satirique, L'Assiette au beurre, publia un dessin dans son numéro du 20 septembre 1902, imaginant la rencontre entre Blanche Monnier et Latude, le célèbre prisonnier de La Bastille sous le règne de Louis XV. Sur le dessin, tous les deux sont réduis à l'état de squelette vivant. Blanche, vêtue de sa chevelure noire, tient dans sa main droite un boulet avec les lettres RF, pour République Française. Devant elle, Latude, sous les traits d'un vieillard avec une longue barbe blanche et des cheveux tombant presque jusqu'à terre, a les pieds entravés par une chaîne traînant un boulet orné d'une fleur de lis pour symboliser l'Ancien Régime. La légende fait dire à Latude : Pour une femme, c'est pas mal... Mais, vous, du moins, vous viviez dans une famille à cheval sur l'estime.

 

Le père


(Collection Brigitte Rebetou )

     Charles-Emile Monnier est né à Amiens en 1820. Professeur de rhéthorique au Lycée de Poitiers, il obtint une chaire à la Faculté des Lettres puis en fut le doyen de 1875 à 1879. C'était un universitaire dans l'âme attaché à ses devoirs d'enseignant, mais aussi un homme bon et faible, dominé par sa fem-me et désespéré par la maladie de sa fille. Il mourut à Poitiers en 1882.

 

La mère

     Louise-Léonide Demarconnay, fille d'un agent de change, est née à Poitiers en 1825. Elle épousa Charles-Emile Monnier en 1847. D'après les témoi-gnages qui ont été recueillis sur elle, elle était peu intelligente, très nerveuse, acariâtre et d'une avarice sordide. Elle ignorait l'hygiène et, selon une domes-tique, portait toujours sur elle la même robe très sale. En conflit permanent avec sa fille, elle laissa ses bonnes s'occuper d'elle. Au début du mois d'avril 1901, la veuve Monnier tomba malade et il arriva un moment où Blanche fut laissée à l'abandon. La vieille dame fut arrêtée le 24 mai et conduite à la pri-son de la Visitation. Elle mourut quinze jours après le 8 juin 1901.

 

Le frère

      Né en 1848, Marcel Monnier a suivi des études à la Faculté de droit de Poitiers. Après avoir obtenu en 1872 le titre de docteur en droit, il débuta l'année suivante dans l'administration comme conseiller de préfecture à Mont-de-Marsan. Il y épousa en 1874 une demoiselle de la noblesse espagnole et de leur mariage est née une fille : Marie-Dolorès. Monnier fut ensuite nommé sous-préfet de Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) mais fut révoqué après la crise du 16 mai 1877 mettant fin à l'Ordre moral. Revenu à Poitiers, il vint habiter dans une maison située en face de celle de sa mère appartenant à cette dernière, rue de la Visitation. C'était un solitaire doux et conciliant, rempli de manies. Les témoins abondent pour le dépeindre "aussi myope au moral qu'au physique" et "d'une naïvetée invraisemblable". Il était en outre dépourvu d'odorat et avait des tendances coprophiles, c'est-à-dire un attrait pathologique pour les excréments.
      Monnier fut aussi arrêté après la découverte de l'affaire et, l'action publique étant éteinte à l'égard de sa mère à la suite de son décès, il répondit seul devant la justice. Accusé tout d'abord d'avoir participé à la séquestration, il fut poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Poitiers pour complicité de violences et voies de fait en aidant sa mère dans la consommation du délit. Le procès commença le 7 octobre 1901 et Monnier fut condamné par jugement du 11 octobre à quinze mois de prison. Il fit aussitôt appel et la Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Poitiers, dans son arrêt du 20 novembre 1901, l'acquitta au motif qu'on "ne saurait comprendre un délit de violences ou voies de fait sans violences".


      André Gide a décrit ce portrait de Monnier fait par Victor Merken (La Vie Illustrée, n°138, 7 juin 1901) :
"Une photographie nous le montre coiffé d'un chapeau de feutre dur, demi haut-de-forme et à bords assez larges.
Il a la tête enfoncée dans les épaules, on ne peut voir son col mais seulement un petit noeud noir tout droit. Les
plis qui vont des commissures des lèvres aux ailes du nez sont profondément marqués. Des moustaches tom-bantes,
très fournies, rejoignent d'épais favoris tombant plus bas sur le menton très large et rasé. Il porte un pince-nez. Son regard de myope est étrangement oblique et voilé".
     En réalité, cette photographie a été largement retouchée. Les cernes autour des yeux et les plis du visage ont été accentués. La moustache et les favoris sont épaissis; même le chapeau semble avoir été rajouté de manière à donner l'impression d'un homme gros et lourd avec un regard sombre et inexpressif. Il suffit de comparer le portrait avec le croquis ci-contre fait au cours du procès pour se convaincre du peu de ressemblance.

 

 

 

 


Dessin de L. Sabattier, L'Illustration, n°3059
12 octobre 1901

 

Un journaliste du Temps a fait une description qui semble plus conforme :
"Marcel Monnier est un homme plutôt petit, maigre et sec, dont les membres
grêles flottent dans des vêtemnt trop larges. Avec sa tête pointue au sommet
du crâne luisant, sa barbe châtain, divisée par quelques poils blancs, ses pommettes saillantes, son nez crochu surmonté d'un pince-nez à gros verres, son profil coupant, son air légèrement effaré, il fait tout à fait l'effet d'une sorte d'oiseau de nuit brusquement traîné à la lumière".

 

Les bonnes

     Blanche Monnier fut longtemps soignée par une bonne, Marie Poinet, veuve de Pierre-Ange Fazy, qui était chargée de la surveiller. Celle-ci était la garde malade qui convenait à la situation. Sa présence aux côtés de la pauvre femme, qu'elle était la seule à pouvoir maîtriser et calmer dans ses moments de folie, rassurait tout le monde.
      Après le décès de la veuve Fazy en 1896, d'autres servantes se succédèrent dans la maison, beaucoup de méritaient aucun reproche mais elles n'a-vaient ni l'expérience ni, surtout, son attachement pour Blanche. En 1899, Mme Monnier engagea deux bonnes, Juliette Dupuis et Eugénie Tabeau, très jeunes et négligeantes, dont elle n'arrivait pas à se faire obéir. Six semaines avant la découverte de l'affaire, la vieille dame tomba malade et il arriva un mo-ment où Blanche fut laissée à l'abandon, au milieu des immondices. Son sort funeste dut alors inspirer de la pitié à l'auteur de la lettre anonyme au Parquet, qui pourrait être un soldat que l'une des bonnes recevait la nuit en cachette, ou plutôt un officier auquel ce dernier rapporta l'affaire.


Juliette Dupuis déposant au procès (dessin de L. Sabattier, L'Illustration,n°3059, 12 octobre 1901).

Juliette Dupuis et Eugénie Tabeau dans le jardin de Mme Monnier
(L'Illustration,n°3040, 1er Juin 1901)







 

 

 

 

 

 


Eugénie Tabeau déposant au procès (dessin de L. Sabattier, L'Illustration,n°3059, 12 octobre 1901).