Les complaintes

 

    Les complaintes sont des chansons qui, sur un ton plaintif racontent les affaires criminelles en déformant souvent les faits pour les rendre pathétiques. Elles étaient imprimées en petit format et vendues par des colporteurs. Les plus célèbres sont la complainte de Mandrin, bandit du XVIIIème siècle qui
fut condamné à mort et exécuté à Valence en 1755 et celle de Fualdès, un magistrat qui fut assassiné à Rodez en 1817.

 

 

Séquestrée !!!

    Complainte inédite sur l'air connu : Tu nous quitte et tu t'en vas, vendue 10 centimes au profit des malades pauvres de l'Hôtel-Dieu de Poitiers (Le Progrès républicain, 22 juin 1901).

1

Il était un' pauvre fille
Qu'aimait un brillant avocat,
Ell' était de rich' famille,
Lui n' possédait pas un ducat ;
L' père qu'était un homm' sage
Refusa l'élu de son coeur,
Il n'y eut pas de mariage,
Ce fut un grand malheur.

2

La pauvre fill' fut malade
De se voir ainsi refuser
Un garçon dans la panade
Et qu'elle voulait épouser ;
Sa peine fut si profonde
Qu'ell' crut perdre la raison,
Alors retirée du monde,
Ell' ne sortit plus d' la maison.

3

Le pèr' dit : ma fill' est folle,
Dans sa chambre faut l'enfermer ;
Jusqu'à temps qu'elle se console
Petit Marcel va la garder,
Il dit à ce fils remarquable :
Je fais appel à ton coeur,
Marcel, tu s'ras un bon diable,
J' te confie ta mère et ... ta soeur.

4

C' pèr' qu'avait d' la prévoyance
Mourut et s'en alla au ciel,
Partit avec confiance
De voir Blanch' soignée par Marcel ;
A pein' fut-il dans l'aut' monde,
Qu' la vieill' maman Harpagon,
Dans un galetas immonde,
Laissa Blanche dans l'abandon.

5

Marcel fait des conférences
Devant un tas de gens très chics ;
Il sait parler des souffrances
Des blessés, et ça tombe à pic,
Pour soigner un' maladie,
Y'en a pas deux comme lui,
Il fait ça pour la Patrie,
Des p'tits soldats il est l'appui.


6

Il nomme sa soeur Gertrude
Afin de lui prouver son amour,
Pour ell' plein d' sollicitude,
Il la visite chaque jour ;
De peur qu'on dérange Blanche,
Un' chaîne de sûreté
Des volets fixe la planche,
Un mat'las fait l'obscurité.

7

C' bon Marcel qu'avait de la poigne
Et qu'était rempli de pitié,
A sa chère soeur témoigne
Son zèle et sa bonne amitié ;
Il va lui lire la gazette,
Tous les jours dans son taudis,
Sans se servir de lunette,
Il est myope mais voit la nuit.

8

Pendant qu' la maman roupille,
Assise sur ses sacs d'écus,
Marcel, qu'adore sa famille,
S' ballad' parmi les détritus ;
Il ne sent rien, le pauvre homme,
Car il n'a pas d'odorat,
Il vient faire' son petit somme,
Le nez sur le puant grabat.

9

La puc', le pou(x),la punaise,
La souris et le noir cafard,
Tout' la vermin' à son aise,
Se promène, se fait du lard ;
Marcel, qui d' la sacristie
Est le plus chaud défenseur,
Y trouv' un' analogie
Avec les amis de son coeur.

10

Quand Marcel tient compagnie
A sa soeur qu'aime les égards,
Il fait de l'anatomie
Sur les vers et sur les cafards ;
Il apprend l'art capillaire
Et l' secret de s' fair' maigrir,
Quand on est humanitaire,
Ça peut quelque jour vous servir


11

Mais, hélas ! noire infortune !
Marcel et maman Harpagon
Eurent la visite importune
D'un quidam qu'entra sans façon ;
Ce Monsieur à l'ait austère,
Déclara qu'il venait pour
Enl'ver un' soeur à son frère
Et lui fair' changer de séjour.

12

Et puis ils eurent la joie
D' voir arriver dans leur logis
Des Messieurs en chapeau d' soie
Qu'avaient l'air quelque peu surpris ;
L'un d'eux pris d'une nausée,
Tout à coup devint blafard,
S' cramponne à la cheminée,
Il vient d'avaler un cafard !

13

Pour bien récompenser c' bon frère
D' ses soins et de sa bonne action,
On l'envoie ainsi qu' sa mère
Hôtel d' la Visitation
Il pourra, à son aise,
Préparer de beaux discours
En faveur d ' l'armée française
Et couler dans la paix ses jours

14

Ah ! plaignez un pauvre diable
Qui n'a jamais eu d'odorat,
Car son sort est lamentable,
Le monde est tout de même ingrat !
C'est par piété filiale
Qu'il est privé de sa soeur
Et qu' sa douleur il exhale,
Son infortune fend le coeur




 

 

 

 

 


Grande Complainte sur la pauvre femme séquestrée

Air de Fualdès.(Arch. dép. Vienne, M4, 91-92)

1

Une histoire épouvantable
Vient d'attrister le Poitou :
C'est à vous rendre fou,
Car ce crime lamentable
Paraîtra bien odieux
A tous les coeurs généreux.!

2

Dans une noble famille
Portant le nom de Monnier,
Vint d'âge à se marier
Une brune jeune fille...
Ame pure, en floraison,
Aussi... Blanche que son nom !

3

Mais elle avait une mère
Avare et bigote aussi,
Pour qui l'or, métal maudit,
N'était pas une chimère...
Qui pour garder son argent
Refusa son consentement

4

Blanche avait aussi un frère,
Qui, bien loin de l'adorer,
Afin de la torturer,
Se ligua avec la mégère,
Et d'une chambre d'la maison
Pour elle fit une prison.

5

Lors, la pauvre demoiselle
A souffrir se résigna...
Pour toujours on l'enferma,
Ainsi qu'une criminelle,
Au fond d'un cachot obscur,
Seule entre les quatre murs...

6

Elle cessa de paraître
En face de ses amis ;
Afin d'étouffer ses cris,
On verrouilla la fenêtre,
Espérant que ce cachot,
Serait bientôt son tombeau !

7

Bien longtemps enterré' vive,
Soir et matin, jour et nuit,
Sa cellule retentit
Du son de sa voix plaintive...
Les échos ont répété
Ses appels de liberté !

8

Parfois, sa pauvre main frêle
Tentait d'ébranler le mur..
Au fond du réduit obscur,
Comme une brebis qui bêle,
Elle allait, se lamentant,
En criant "Maman ! Maman !"

9

Mais la mère restait sourde
A la voix de son enfant,
Dont les efforts impuissants,
Après la porte trop lourde,
S'épuisait, ô désespoir !
Au fond de son cachot noir...

10

Puis, sur son grabat immonde,
Blanche tombait en pleurant...
Oh ! les ignobles parents !
Peut-il exister au monde
Des infâmes scélérats
Comme ces deux monstres-là !

11

Un monceau de pourriture
A Blanche servait de lit...
On jetait dans son réduit
Une infecte nourriture ;
Elle faisait ses repas
De c' que les rats n' voulaient pas !

12

Son corps était un squelette
Hideux, sale et décharné,
Pendant que son frère aîné
Joyeusement faisait la fête
Et qu' sa mèr', la veuv 'Monnier
A l'église allait prier !

13

Ils pensaient que leur victime,
Recluse en ces sombres murs,
Deviendrait folle à coup sûr,
Et pour effacer leur crime,
Espéraient que sa prison
Lui f'rait perdre la raison.

14

Ainsi cette pauvre femme
Vécut pendant vingt-cinq ans !
Quel cruel acharnement
Avaient ces tigres infâmes,
Endurcis et sans remords,
Qui n'attendaient que sa mort.

15

Mais un beau jour, la justice,
Arriva chez les Monnier,
Et vint enfin délivrer
De son terrible supplice
La victim' dont l'âme en deuil
N'aspirait plus qu'au cercueil.

16

Cette marâtre coupable,
Ce frère dénaturé,
Vont rendre compte aux jurés
De leur crime abominable ;
Car chacun, en ce moment,
Réclame leur châtiment.

Morale

La morale de ce crime
C'est que ces faux dévots,
Des avar's et des cagots,
Chacun peut être la victime;
Et qu' parfois, l' confessionnal
N'est pas loin du tribunal !

 

 

 



Le testament de la mère Monnier

Air de Ninon.

1

On a vu des enfants martyrs,
Des crimes, mais rien d'aussi pir(s),
Ni rien d'aussi abominable ;
Une fille depuis vingt ans
Est séquestrée par ses parents,
Ces deux sinistres misérables.

2

Nous savons que ces deux bourreaux
Dans une chambre, un vrai tombeau,
Avec les rats et la vermine,
Est sur un sinistre grabat,
Ces deux ignobles scélérats
Avaient renfermé leur victime.

3

La mère et le frère assassins,
Pour mieux accomplir leur dessein
Et pour faire souffrir la pauvrette,
Et de peur qu'elle ne s'échappât,
Avec des chaîmes et des cadenas,
Avaient attaché la fenêtre.

4

Avec un cynisme révoltant,
La mère de la pauvre enfant,
Avec son fils faisait la fête ;
Dans leur salon près du cachot,
Ils dansaient au son du piano
Pendant que pleurait la pauvrette.

5

Mais à quoi bon pleurer et gémir
Se disait la pauvre martyre,
Je me résous à la souffrance,
Le ciel, je ne le verrai jamais,
Car je vois bien que je m'en vais
Et j'ai perdu toute espérance.

6

Elle est sortie de son tombeau,
De sa prison, de son cachot ;
Elle a terminé son supplice,
Ces deux ignobles assassins,
Ces deux êtres au coeur inhumain,
Sont entre les mains de la justice.

7

Les adieux de la mère Monnier
Ne sont donc pas regrettés,
Pour une femme si infable,
Elle n'ira pas devant le tribunal,
Car il était temps qu'elle s'en aille,
Pour pas être pensionnaire de l'Etat.

 

 



 



La Séquestrée de Poitiers,

Air de la Paimpolaise.

1

Dieu ! Quel terrible et grand mystère
Cache encor le nouveau forfait
Commis par une infâme mère
Avec son fils, un sous-préfet,
Indignes parents
Qui, pendant vingt ans,
Ont osé, dans une mansarde,
Séquestrer leur fille et leur soeur,
La tenant sous bonne garde,
Pour cacher à tous sa douleur.

2

La pauvre fille, en sa jeunesse,
Avait déjà connu l'amour
Et se livrait à la tendresse
Que faisait son rêve d'un jour,
Mais un beau matin,
Elle fut soudain,
Par son frère et l'ignoble mère,
Enfermée, ainsi qu'en prison,
Sous prétexte, allégué naguère,
Qu'elle avait perdu la raison.

3

On la priva de nourriture,
De lumière et de vêtement,
Pour la soumettre à la torture
Qui dura vingt ou vingt-cinq ans ;
Dans son noir cachot,
Qu'il fit froid ou chaud,
Elle était étendue à terre,
Dans l'ordure où son propre corps
Se tordait dans la fourmilière
Des insectes vivants ou morts.

4

On lui jetait comme pâture
Les débris les plus dégoûtants,
Laissant son corps et sa figure
Barbouillés de tous excréments,
Mais c'est trop d'horreur
Et de douleur,
La raison se refuse à croire
Les détails de ce noir forfait ;
Et pourtant, c'est la triste histoire
De la soeur d'un vieux sous-préfet.

5

Lorsqu'on trouva la pauvre fille,
Mourante au fond de son taudis,
Il fallut bien que la famille
Avouât le crime commis,
Mais on protesta
Contre l'attentat,
Et le fils et l'infâme mère,
Se donnant en vrais innocents,
Ont gardé la clef du mystère
Qui durait depuis vingt-cinq ans.

6

De la triste et pauvre martyre,
On ne peut rien savoir encore
Car dans sa fièvre et son délire,
Elle voyait déjà la mort ;
Son corps amaigri,
Souffrant et meurtri,
Ne laissait à la jeune femme
Qu'un infime éclair de raison
Et victime d'un crime infâme,
Elle se croyait en prison.

7

Dans tout Poitiers, les gens honnêtes
Demandent tous le châtiment,
Mais les autres sont assez bêtes
Pour réclamer l'acquittement ;
Pour l'humanité,
La société
Doit frapper bien fort les coupables ;
Quelques soient d'ailleurs les motifs
Allégués par les misérables
Qu'on voudrait voir brûler tout vif.